DES FEMMES SI SOMBRES
Femmes, tant d'univers vous composent !
Au commencement, vertes tiges
Tellement tendres, si graciles ;
Fleurs innocentes aux parfums délicats ;
Fruits juteux des délices défendus ;
Feuilles fragiles, bourgeons gourmands
Pareils à des lèvres adolescentes
Gorgées de sève qui s'entrouvrent,
Poussés par la vie qui s'impose.
Mais bientôt voilà le temps des métamorphoses :
Âpre écorce qui blesse, inextricables noeuds
Où le regard se noie comme sous hypnose,
Bois tordus, fruits pourrissants, mortes feuilles
Dont se repaissent la terre avide
De nourritures putrides et grouillantes,
Et vos racines qui comme des lames profondes
Plongent avec délectation
Vers les origines du monde.
Vous êtes l'arbre de vie, l'arbre de mort
Où tout naît, vit, se multiplie et puis repose.
Vous êtes l'eau fraîche
qui abreuve la bouche sèche,
La pluie cristalline qui au printemps
Étanche de la terre la soif,
L'eau vive du torrent qui naïvement
Se jette dans les bras du grand fleuve sournois.
Car, il est vrai mes soeurs que parfois trop confiantes
En la force tranquille de ces géants sinueux,
Vous vous laissez lascives contre leur flanc aller,
Avant de réaliser qu'on vous a abusées
Il va vous prendre en traître
Pour de votre innocence mieux pouvoir se repaître
Et votre belle jeunesse vampiriser
Jusqu'à de vous, de votre essence même,
Ne laisser rien, pas même une miette.
Vous êtes mer et océan,
Navire perdu en pleine tempête.
Ciel qui pleure et ciel qui rit,
Moulin à paroles et silence de mort,
Kaléidoscope changeant aux mille facettes,
Paon qui pavane faisant la roue
Sur d'improbables échasses qui vos pieds blessent.
Mais pourquoi tant de peines ?
Sans doute pour sans mal accéder
Aux lèvres de vos chers amants
Que, sous vos paupières mi-closes
Vous maintenez sous hypnose,
Et que, dociles jouets, sous l'arbre
Vous entraînez pour une pause.
Vous voici pour un temps prisonnières de l'amour
Que vos amants audacieux,
Profitant d'un moment d'abandon délicieux,
Sont venus lentement épingler sur vos coeurs.
Mais bien vite vous vous échappez ;
Électron libre et insolent
Du cadre vous sortez pour aller explorer
L'autre côté du miroir aux alouettes.
Car, tant qu'entre vos jambes coule le sang fécond,
De même qu'en ces terres fertiles écartelées,
Traversées par des fleuves furibonds
Tranchants comme des épées aux lames aiguisées,
La vie pousse, la vie grouille, la vie fourmille et coule...
Vous êtes sources jaillissantes comme le désir
Qui tiraille vos entrailles.
Vous explosez en pluies de roses rouge carmin,
Flocons légers de sang tachés
Puis le rouge profond s'accouple au bleu du ciel,
Pour recouvrir l'horizon en un instant magique
D'incarnat, de mauve,
De violine et de pourpre féerique.
Et soudain, tout s'apaise...
Comme après une guerre sanglante
À l'issue fatale connue de tous,
Le sang sèche
Le ciel devient sombre
La terre avale la vie
Et les femmes sombrent aussi.